mardi 14 juin 2022

1 HERON, HERON, PETITES PATTES A PONT. ____________________________________ Il y avait, à l'arrière de la bibliothèque, un havre de paix donnant sur les jardins. Il n'était pas question d'un domaine somptueux, avec des arbres remarquables centenaires. C’était juste une modeste bande de verdure aménagée et fleurie, qui descendait de la colline pour rejoindre la gare et la mairie en contrebas. Il trônait surtout, au milieu la courette nichée au dos la bibliothèque, un étroit bassin avec un jet d'eau central. L'eau était clair, son murmure résonnait et ricochait sur les pavés et la pierre blanche du lieu exigu. Des poissons rouges l'occupaient de leurs arabesques élégantes. Cette porte de derrière n'était pas si souvent ouverte car les chats, qui avaient élu domicile dans le jardin, avaient tôt fait de visiter la bibliothèque, quitte à monter jusqu'au dernier étage se lover dans les cousins profonds du coin lecture des enfants. Or c'était interdit, par une loi tombée d'on ne sait où, qu'il était fréquent d'enfreindre, tant le charme frais et sonore de ce lieu pénétrait par cette porte laissée ouverte, surtout les jours de grande chaleur comme aujourd’hui. Il y avait eu beaucoup de monde à la bibliothèque ce jour là, surtout des enfants. Ils arrivaient avec des cabas de super marché grand format bondés, qu'ils avaient peine à porter. Ils déposaient lourdement leur fardeau devant le comptoir, avec un bruit mat au sol. Puis, ils extirpaient un à un les livres, des BD pour la plupart, qu'ils amoncelaient dangereusement sur le comptoir, en des empilement incertains et bancales. La bibliothécaire, si la quantité lui semblait phénoménale, ne cillait pas derrière ses verres de lunettes, stoïque, mais consciente du travail qu'il faudrait fournir pour remettre tout ce fourbi en rayon. Depuis un moment, se faisait au-dessus de sa tête tout un tintamarre de galopades, incongru dans ce lieu paisible de lecture. Des enfants avec des parents pratiquant l'éducation « bienveillante », celle qui ne dit jamais non et ne rend pas service à sa progéniture par ce lâche laxisme. Qui les préservent aujourd'hui des frustrations, pour qu'elles leur soient demain, adultes, plus difficile à affronter. Pour le plus grand bonheur et enrichissement des psychiatres. La bibliothécaire fulminait en silence à ses réflexions, quand elle l'avait entraperçu une première fois. Juste à l'instant où elle se retournait vers sa collègue pour lui passer la référence d'un titre. Deux immenses ailes déployées qui glissaient sombres dans l'interstice du passage entre les deux immeubles. Elle avait crié. L'autre avait levé les yeux promptement. Il n'y avait rien à voir, par les fenêtres hautes latérales. Elle s'était retournée vers son acolyte avec un regard suspicieux. La bibliothécaire avait replongé le nez honteuse dans son répertoire des ouvrages, en se demandant si le surmenage et l'exaspération du raffut que lui faisait subir les despotes juvéniles au-dessus de sa tête, n'étaient pas en train d'endommager gravement ses compétences intellectuelles. Un bon moment s'était passé, durant lequel elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d’œil furtifs aux ouvertures latérales. Mais rien, il n'y avait rien. Quand soudain, alors qu'elle ne s'y intéressait plus, elle l'avait revu et sa collègue avec elle. Elles avaient quitté leur poste de vigies et couru vers l'arrière en suivant la trajectoire. 2 Il était là. Les deux pattes agrippées au rebord de pierre du bassin. Le bec venant de plonger dans l'eau tenait, frétillants encore, deux poissons, les derniers. Dérangé, il avait déployé l'envergure de ses ailes pour s'envoler, laissant le bassin vide. Les chats, qui toujours avaient espéré saisir un poisson de la patte, sans pouvoir y parvenir de par la profondeur, étaient marri d'avoir été doublé par un héron.

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