dimanche 27 mars 2022

 


NOUVELLE DE MARS

Saint-Lunaire


Elle entendait derrière elle des pas, secs et sonores sur le macadam. Elle avait beau se retourner, rien ni personne n'était là. Et pourtant, il y avait ces pas.

Elle était un peu esseulée ce soir là, avec un peu de vague à l'âme sans doute aussi. Un conflit de personne qui la mettait en stress. Une situation malsaine, floue et pesante. A la fois simple et alambiquée, de ce que l'âme humaine peut mettre de détours propre à s'égarer dans le relationnel.

Elle avait décidé d'aller marcher sur le sable pour oublier qu'elle était seule et se convaincre que c'était bien ainsi. Et elle y était parvenue, sur le sable du moins.

Elle avait longé la vague jusqu'au chenal. La mer était agitée. Le vent la démontait de sa rage. Il sifflait dans les mâts des voiliers tirés sur le sable, couchés sur le flanc de leur coque. Il sifflait en imitant des voies humaines en mélopées. Et le cliquetis des filins battus sur les mâts nus de leur voilure, donnait un son tout africain, à ce concert improvisé. Le soleil avait percé, métallique entre deux nuages de bronze. Alors elle était restée là, un long moment face à la mer, avec devant elle le fracas du ressac et dans son dos l'Afrique.

Le soleil à nouveau caché, elle était remonté de la plage et avait décidé d'aller jusqu'à la pointe du Décollé. Elle avait croisé le "Grand Hôtel" et avait jeté machinalement un regard à l'horloge de son fronton. Cet imposant établissement de bains, dans son style des années trente, lui avait toujours évoqué un vacherin décoré de sa crème Chantilly. Elle s'imaginait voir devant, sur la promenade, Emmanuelle Béart dans le rôle d' "Une Femme Française", relevant un peu ses jupes et jupons, sa bottine posée sur le premier échelon de la rambarde, pour aguicher les jeunes et beaux volleyeurs de la plage.

Saint-Lunaire était ainsi, resté figé à l'entre-deux guerre. Elle se dit qu'elle avait plus de facilité à laisser voguer son imagination qu'à appréhender le réel, perdu dans l'enchevêtrement des méandres de son cerveau confus. Elle avait passé les cabines de plage étroites, à rayures blanches et bleues. Elle avait pris l'escalier abrupt dont les premières marches, léchées par la mer à chaque marée, se devinaient plus qu'elles ne se voyaient, taillées dans le rocher. Elle s'était perdue à souhait dans le dédale des rues toutes similaires, si semblables à son état d'esprit du moment, sinueux. Elle avait admiré les villas, toutes plus somptueuses et ouvragées, face à la mer, sans réaliser tout de suite qu'elles étaient toutes closes et muettes de toute vie. Jusqu'à en croiser une, en assise longue et clochetons disparates avec, sur un pilier du portail, une large plaque d'étain gravée d'un bateau ventru toutes voiles dehors. Elle s'était approchée pour en lire le nom: " Le Revenant.". Elle avait instinctivement eu un petit mouvement de recul. A reconsidérer la maison, le nom était bien trouvé, tous les volets étaient fermés et le gris de la pierre la tenait fermée plus encore.

Arrivée sur la pointe, elle avait été mal à l'aise, le muret était trop bas. Elle n'avait pas réellement le vertige, elle avait la peur absurde d'être poussée à bas de falaise par une main malfaisante. Elle avait décidé de rentrer vite, avec vue sur l'autre plage, le retour de ce côté étant direct, sans complication des voies et sans lacis de ruelles. En passant devant, elle avait machinalement tourné la tête vers le chemin d'accès au rocher Napoléon, comme elle l’avait fait pour l’horloge du « Grand-Hôtel ».

C'est là qu'elle avait vu la femme. Elle remontait du « point de vue ». C'était une femme très ordinaire qui semblait se promener seule comme elle. Elle portait une jupe longue chocolat sur des bottes fauves et une veste de lainage grège, dont le col était serré par une longue écharpe dans les tons châtaigne. Ses cheveux étaient courts et blonds. Elle avait sur le nez des lunettes à larges montures d'écaille noire, rectangulaires. Une femme très ordinaire, dont elle avait pourtant curieusement enregistré chaque détail vestimentaire et physionomique en un clin d'œil.

Juste après cette rencontre entrevue, elle était tombée sur la maison inachevée. C'était une demeure immense, de granit, avec un toit d'ardoise haut et pentu, hérissé de chiens assis dans tous les sens. Elle était ouverte à tous les vents, sans porte ni fenêtre. On voyait la mer à travers. On pouvait imaginer un salon à larges baies vitrées qui jamais n'aurait été habité. Les murs intérieurs étaient tagués et des lambeaux de plastiques battaient au vent, comme des rideaux fantomatiques.

C'est alors qu'elle s'était rendu compte que la femme à l'écharpe châtaigne la suivait, en entendant ses pas dans son dos. Du moins s'était-elle imaginé que c'était elle. Elle avait pressé le pas et prit la première à gauche pour rentrer au plus court. Quand elle s'était retournée, la femme n'y était pas. Plus tranquille, elle avait repris son pas de flânerie, insouciante. Mais elle avait entendu à nouveau les pas, par intermittence, comme si à chaque fois ils s'étaient tus dès qu'elle essayait de les repérer. Quand elle se retournait, il n'y avait jamais personne. Pourtant c'était les même pas, ceux de la femme à l'écharpe châtaigne, bien frappés sur le bitume et le pavé des trottoirs. Elle était passée devant "La Louisiane", une incroyable maison de bois défraîchie, peinte en vert printemps et blanc écaillé, aux carreaux cassés laissant voir des voilages sales et déchiquetés. Et les pas s'étaient arrêtés là, définitivement. Elle s'était dit que la femme à l'écharpe châtaigne devait habiter "La Louisiane" et qu'en même temps c'était absurde.

Elle fut soulagée d'être rentrée, bien à l’abri dans le studio douillet, avec le bruit familier et rassurant du frigo ronronnant. Au moins lui semblait-il bien vivant, dans ce monde lunaire.

C'est la libraire qui avait donné l'alerte. Elle avait été étonnée de ne plus voir cette curieuse jeune femme qui tous les jours lui achetait cinq cahiers d'écolière brochés, carreaux Sieyès, en 96 pages. Elle était arrivée hors saison et s'était installée dans un studio au dessus de la pizzeria fermée. Elle avait toujours au moins deux autres cahiers, qu'elle avait achetés de la veille, sous le bras. Un jour, un des cahiers était tombé et s'était ouvert à ses pieds. Toutes les pages étaient couvertes d'une écriture illisible, avec des rajouts, des ratures et des renvois. Il n'y manquait que les "paperolles" de Proust. Seule la page de droite était écrite à l'endroit. Après, l'écriveuse repartait à l'envers à la fin du cahier, si bien que les pages se retrouvaient côte à côte, tête bêche. C'était le labyrinthe de Crête de Daidalos. Cette vision évoqua à la libraire un passage de Victor Hugo:" …qui ressemblait à un écheveau de fils brouillé par un chat." La libraire se targuait d'avoir de la culture, même si à présent sa vie se résumait à vendre des "sudoku", "la maison de Marie-Claire" pour madame et "l'auto-journal" pour monsieur, entre le premier Juin et le trente Septembre de chaque année.

Les pompiers avaient frappés plusieurs fois en appelant, puis avaient enfoncé la porte. On l'avait retrouvé dans son lit, assise avec un cahier d'écolière calé sur les genoux, la page de droite n'était pas finit d'être écrite, le stylo avait glissé à terre, la plume s'était fichée dans le parquet. Elle était calme et sereine, on aurait pu croire qu'elle dormait si ce n'était cette curieuse inclinaison de la tête. Elle avait, serré autour du cou, une écharpe châtaigne.

Il n'y avait pas eu d'effraction. La rumeur publique s'était accordée à dire qu'elle n'était pas liante, toujours seule face à la mer. Elle n'était pas désagréable mais "à part", avec ses cahiers. Et l'avis était unanime sur le fait qu'elle était très certainement dépressive. Personne ne lui avait réellement parlé mais chacun le savait. L'enquête ne s'était pas perdue en embarras compliqués. Elle n'y était pas allée" par quatre chemins". Elle avait, sans détours, conclu à un suicide.

samedi 26 mars 2022


 SALON DE MOUY

un salon du livre, c'est toujours une bonne journée entre amis

un super accueil, une super organisation et une bibliothèque-médiathèque qui achète des livres des auteurs exposants...bravo à l'équipe de MOUY.

 SALON DE MOUY 2024 Un accueil chaleureux.  Une journée des plus agréable.  Des échanges, des bons mots et des dédicaces. Tout ce qu'on ...