Le Caniche Gris (extrait)


                                               Chap I
                                              Lisbeth

       William était considéré comme un taciturne. Il était arrivé en Irlande depuis peu. Il était anglais. Il vivait seul, dans un cottage un peu à l'écart, sur la route d'Enniscorthy, à un demi-mile de Kilmishal.
        Il avait d'abord logé chez Lisbeth, qui avait la ferme sous le chemin. Elle avait quelques vaches mais surtout beaucoup trop de fumier à son goût. Chez elle, sur les trois premières marches de l'escalier de bois intérieur, il y avait une paire de chaussures pour chaque marche et pour chaque occasion. Roulé en boule sur chacune des trois paires, un collant assorti attendait son usage, dont aucun n'avait jamais été renouvelé de tout le temps qu'avait passé William à la ferme. Les collants les plus fins étaient avec les chaussures pour aller à la messe. Elles avaient dû être vernies dans une vie antérieure, avec un petit talon et une languette fantaisie qui bâillait sur le dessus. Les collants gris en mousse étaient avec les chaussures de tous les jours, sorte de mocassins d'homme couleur mastic à lacets. Elle les enfilait sans les dénouer, en forçant sur le talon avachi. Les derniers, informes, troués et tachés de fumier, étaient pour les bottes en caoutchouc vert passé.
       Dans la chambre louée par William, la plus belle, celle des parents défunts avec l'armoire à glace et le lit haut à encadrement de bois, Lisbeth gardait les œufs. Elle les mettait sur des palettes de carton bouilli marron gris, par quarante-huit à plat, empilés sur un bon mètre dix de haut. Quand on venait lui en chercher, elle prenait  toujours ceux du dessus. Et William se demandait perplexe ce que devenaient ceux du dessous.

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